Cameroun : La nouvelle terre du Slam

Article : Cameroun : La nouvelle terre du Slam
Crédit:
24 avril 2023

Cameroun : La nouvelle terre du Slam

Encore peu répandu il y a quelques années, le slam est aujourd’hui de plus en plus populaire. Jeunes ou moins jeunes, tout le monde se laisse désormais séduire. Les paroles, les rythmes ébranlent les barrières et rassemblent le public autour de cet art en plein essor, faisant du Cameroun la nouvelle terre du slam.

Crédit: Arold L’africain

Il est loin le temps où les mélodies et les paroles subtiles et brillantes des slameurs et slameuses du Cameroun n’étaient réservées qu’à une poignée d’inimitiés. Exit l’anonymat et la marginalité, aujourd’hui il faut faire place aux projecteurs et aux paillettes qui accompagnent la gloire. Championnats nationaux et internationaux, spectacles devant salles combles et public conquis, le mouvement marche plus que jamais vers l’avant. Ce n’est donc plus chose rare d’ouvrir un média et de voir où d’entendre parler de slam. Pas rare non plus d’entendre fredonner ça et là des refrains de musique slam devenues populaires. Néanmoins, il ne faut rien extrapoler. Tous les artistes ne sont pas logés à la même enseigne. Si certains jouissent d’une certaine visibilité nationale et internationale à l’instar de Lydol principalement, ou même de Rodrigue Ndzana, d’autres sont en revanche, encore, dans l’antichambre du succès. Ils n’en sont pas moins talentueux et prometteurs, assurément. Pour cet article, je suis allé à la rencontre de ceux et celles qui représentent le présent et le futur du slam camerounais. De par leur talent et leur volonté, ils font vivre l’art, qui dans les années à venir deviendra un maillon essentiel de la culture camerounaise. Femmes et hommes, débutants ou confirmés, ils se sont livrés sur leur art, leurs envies et leurs visions, que je partage avec vous à travers ces huit portraits.

1- Rodrigue Ndzana (R’N)

crédit: Rodrigue Ndzana

Il dit slamer pour être heureux et rendre heureux. Et lorsque l’on sait qu’il s’agit de Rodrigue Ndzana dit R’N, nul doute n’est émis concernant le nombre de personnes que ses textes et rythmes ont enjaillé. Sur les scènes d’ici et d’ailleurs, celui que l’on peut à juste titre considérer comme l’un des maîtres du slam distribue les vers et les rimes en cascade. Le 8 avril dernier, il en faisait la démonstration magistrale dans une salle comble à l’occasion de son grand spectacle intitulé « C’est monté c’est descendu » organisé à l’institut français du Cameroun, antenne de Yaoundé. Dans le style si singulier qui le caractérise, il s’adresse à tous et à chacun en balayant toutes les thématiques importantes à ses yeux. Passionné d’écriture devenu écrivain, auteur de « je t’aime en splash » livre publié en 2009 chez l’harmattan, il n’avait jamais rêvé de slam. Mais durant la promotion de cet ouvrage, il sera invité – par hasard – à rejoindre l’univers qui est désormais le sien. Début difficile, persévérance, travail et puis la révélation. Une étoile du slam était née. Depuis, un album intitulé « 13 or public » dans lequel il partage des messages forts et engagés, teintés d’humour, d’amour et d’Afrique. Faisant partie de la première génération de slameur, il a vu la discipline évoluer depuis la fin des années 2000 jusqu’à aujourd’hui. Pour lui, nous sommes à l’aube d’un succès flamboyant. D’où la responsabilité qu’il se donne vis-à-vis de la jeune génération qu’il aide à émerger dans l’optique de consolider et de viabiliser le succès annoncé. Celui-là qui devrait permettre aux membres du mouvement de s’épanouir, d’être plus respecté et de vivre de leur art. En attendant, Rodrigue Ndzana qui a déjà atteint tout ou presque de ces objectifs, veut marquer son temps et marquer le temps en continuant d’insinuer son art dans les mémoires.

2- Marsi Essomba

Crédit: Marsi Essomba


« Je slame parce que c’est essentiel, parce que c’est vital » Ces mots de Marsi Essomba prennent une résonance toute particulière lorsqu’on a eu la chance, un jour, de l’écouter. De découvrir les mélodies et les paroles de l’artiste camerounais, possédant cette capacité à s’adresser avec beaucoup de franchise, à la fois au cœur et à l’esprit. Facilement, chacun peut percevoir, la dimension vitale et essentielle de son slam. En associant le rap, le slam et sa guitare jouée en acoustique, Marsi Essomba propose un style bien à lui et facilement reconnaissable. Grâce à sa flexibilité, mixant le slam et le rap, obtenant un rendu sonore singulier, mais également du fait de la liberté qu’il se donne d’évoquer tous les sujets, même les plus complexes, et pour tout les publiques du monde. Esthète rigoureux ayant le soucis du détail, il est de ceux qui prennent leur art très au sérieux. Ce n’est que chose normale lorsqu’on se penche un tant soit peu sur sa longue carrière. Il a livré ses talents de slameur et de guitariste sur de nombreuses scènes au fil des ans. Aujourd’hui, avec son premier album (2020) intitulé « #bantutrubadur » (treize titres aux sonorités variées et cosmopolites), on entend l’essence même de ce qu’est Marsi Essomba en tant qu’artiste. En 2021, grâce à cet album, il est en lice pour faire partie des trois lauréats du programme Afro-Pepite Show. Faisant partie des pionniers du slam au Cameroun, sa présence remonte aux années 90, avant que le mouvement ne prenne forme et ne commence son évolution. Témoin privilégié de l’histoire du slam, il voit le slam évoluer et conquérir un très large public pour finalement devenir aussi populaire que les rythmes musicaux les plus populaires d’aujourd’hui. L’acharnement de tous ces artistes, qui travaillent très dur au quotidien pour être reconnus et donnent de l’importance à ce qu’ils font donne ses résultats : certains slameurs et slameuses camerounais ont pris une dimension internationale. Marsi Essomba est confiant pour l’avenir. Le travail n’est-il pas toujours récompensé ? Si sa vision concernant le futur du slam est claire, il préfère ne pas s’avancer concernant son propre futur. Préférant tout laisser entre les mains de Dieu et ne vivre qu’un jour après l’autre. Il confie « je ne suis qu’une pirogue dans une mer tumultueuse ». Si tel est le cas, alors je considère qu’il est la pirogue qui par sa musique et ses textes guide toutes les autres.


3- Marah M

Crédit : Marah M

L’art inspire la vie et la vie inspire l’art. Pour Marah M, le slam c’est l’art et c’est la vie. S’inspirant du monde autour de lui, il crée depuis plus d’une décennie des textes forts et engagés. Porté par des rythmes locaux, il débite ses maux par des mots associant harmonieusement le français, l’argot camerounais et les langues nationales. Rappeur, il l’a été. Mais c’est à la faveur d’un spectacle de Thierry Olemba qu’il est séduit par le slam. Débute alors son long parcours. Pour améliorer sa plume, il intègre les ateliers de slam organisés par l’Institut français du Cameroun. Il participera à un concours organisé par le dit institut à l’issue duquel il fera partie des lauréats. Par la suite les premières scènes et les textes s’enchaînent, le car était parti pour ne plus jamais s’arrêter ! Aujourd’hui dans sa trentaine il slame toujours et mieux que jamais. Un slam qui se veut populaire et accessible au plus grand nombre. « La profondeur d’un texte ne réside pas dans le registre de langue utilisé mais dans le sens des mots employés » affirme-t-il. Fier du chemin parcouru par le slam et poussé par son désir d’évoluer tout en laissant un héritage fort aux jeunes générations, il est aujourd’hui dans la transmission. En s’impliquant dans la formation des aspirants.es slameuses et slameurs, il souhaite partager son amour d’un slam plus authentique et identitaire. Un slam qui fait bouger les lignes, qui fait évoluer le Cameroun et l’Afrique.

4- Le Griot

Crédit : Le Griot

S’il fallait un mot pour résumer l’entièreté du personnage, ce mot serait virtuose. Mais il pourrait tout aussi bien être prestance, éloquence ou alors pertinence. C’est dire que Le Griot ne saurait n’être résumé qu’en un seul mot, tant le talent caché derrière l’artiste est important. Il est grand gagnant de l’édition 2022 du « Grand Slam National« , concours mettant en scène et en compétition les jeunes talents prometteurs de l’univers du slam camerounais. À la suite de sa victoire il publiera son premier livre de poème intitulé « Pour toi, une lettre », publié chez La Jeune plume. Inspiré par l’Afrique et tous les penseur.euse.s qui ont raconté, écrit ou chanté sa grandeur et son prestige, le Griot est de ceux qui assemblent les mots pour en faire des œuvres d’art. Poussé par une amie, qu’il intègre le groupe littéraire « les jeunes plumes » avant de débuter il y a trois ans les ateliers de slam du « musée de la blackitude » animé par les membres du collectif « 237 parole« . Il se détourne alors peu à peu du terrain d’expression que constituaient ses dissertations de terminale pour s’exprimer différemment. Aujourd’hui, il déclame son art sur de nombreuses scènes. De l’institut français du Cameroun au quartier Mozart en passant par le centre culturel Ubuntu ou très bientôt sur celle des championnats mondiaux de slam 2023, organisés au Brésil. Dans la lancée de ceux qui l’ont inspiré, il aimerait devenir lui-même une source d’inspiration pour quiconque souhaite se laisser inspirer. Il continue sa marche en avant et nous dit « Demandez et on vous dominera ». Son destin ne lui a donc pas été offert après supplications, il l’a tracé et continue de s’atteler à la construction de ses succès futurs à coups d’éclats et de vers. L’avenir nous fera très certainement témoins de sa brillante percée.


5-Bern’ArtDo

Crédit : Bern’ArtDo

« Divertir sans instruire, c’est abrutir ». Si vous parvenez à saisir la vérité et la profondeur de cette phrase, alors vous saurez tout ou presque sur son auteur. Bern’ArtDo, slameur depuis 2021, est à 22 ans une des étoiles les plus lumineuses de la scène slam camerounaise. S’il fait ses premières armes dans le rap, notamment durant sa dernière année de lycée, c’est en écoutant l’artiste slameur français Grand corps malade qu’il s’est converti. Flamboyant et fulgurant, il enchaîne les spectacles sur les scènes du quartier Mozart, de l’institut français du Cameroun et du centre culturel Ubuntu, entre autres. Percutant, philosophique, engagé, cérébral, les qualificatifs ne manquent pas pour définir son style unique. Derrière chacune de ses belles phrases, il nous sert une satire du monde qui l’entoure, tel qu’il le perçoit. Dans des créations telles que « why » ou « À toutes nos mères« , ses vers enrobés d’un humour piquant sont pour lui un moyen d’expression, d’évasion et de jouissance. Travailler, s’améliorer et faire carrière dans l’art qu’il a choisi et qui l’a choisi, ce sont là les ambitions qui le motivent. Une chose est sûre, le monde n’a pas fini de l’entendre slamer.

6- Mandou La Slamoureuse

Crédit: Mandou La Slamoureuse

Sa plume est une épée qui sur le papier marque par des vers les bases de son engagement. Pour Mandou La Slamoureuse, le slam c’est d’abord une thérapie, écrire et déclamer sont un médicament. C’est ensuite un canal d’expression et une tribune de dénonciation. Les violences faites aux femmes, le traitement réservé aux enseignants ou encore le regard péjoratif jeté sur l’immigration sont autant de sujets sur lesquels elle s’exprime à travers ses textes empreints d’une profondeur et d’une sensibilité d’exception. Quart de finaliste du concours d’éloquence de la francophonie en 2021, elle se lance aussitôt dans le slam et découvre la discipline en prenant part à des ateliers de formation. Encadrée par des slameurs émérites tel que Grimo ou Marah M, elle fait sa première scène lors de la « la caravane des dix mots » organisés par le collectif slam « Entre2vers« . Depuis lors, Mandou distille avec élégance des vers en langue française et en langue Bamoun pour prôner la quête d’identité, l’acceptation de soi, le retour aux sources et la valorisation de la culture camerounaise. Son mantra « Plus qu’une passion, le slam pour moi est une mission ». La mission qu’elle s’est fixée est de devenir la plus grande slameuse camerounaise. Retenez donc son nom, vous la reconnaîtrez sûrement lorsque vous l’entendez scander aux quatre coins du continent.

7-Inspecteur Lestrade

Crédit: Inspecteur Lestrade

Slamer pour laisser une trace, pour extérioriser ce qu’il y a en lui, être un artiste… Nom de scène : Inspecteur L’estrade. Passionné de belles lettres et d’écriture depuis sa tendre enfance, au fil du temps, il nourrit sa fibre de slameur en écoutant les références du genre tel que koppo, Grand corps malade ou encore Rodrigue Ndzana. C’est en 2011 qu’il écrit son premier texte de slam, suivra une longue lignée avec à chaque fois la marque de son identité. Dans l’entièreté de ses productions, se distingue ce sens aigu de la beauté et de la cohésion des mots, unifiant avec succès l’esthétique de la forme à la pertinence du fond. Sa quête du beau est menée méthodiquement à travers une écriture patiente et réfléchie. À partir de là, on comprend aisément le fait que son grand regret serait de voir l’aspect commercial et mercantile du slam prendre le dessus sur la qualité et l’authenticité des écrits. Néanmoins, il se veut optimiste quand à l’avenir du slam qu’il voit comme un rythme musical fort à associer à d’autres styles musicaux camerounais, à l’instar du bikutsi, du makossa et du mbole. En entendant, il poursuit sa quête artistique en s’inspirant de ses émotions et des émotions que les autres lui font ressentir en laissant un héritage remarquable derrière lui.

8-Jayce Tyh

Crédit: Jayce Tyh

Considérant que le slam est un moyen de relier les humains au-delà du simple entendement, jayce Tyh slame pour toucher les consciences et connecter les cœurs. Créer des ponts entre les personnes et briser les frontières des préjugés en partageant des messages puissants. Comme nous l’avons remarqué au fil de nos portraits, la frontière est infime entre le rap et le slam. Jayce Tyh est à l’origine un rappeur dont la profondeur et la virtuosité des textes mais aussi le style des prestations scéniques faisaient grandement écho au slam. En 2016, par curiosité et suite aux remarques de son entourage, il porte un intérêt particulier à découvrir et appréhender la discipline. La même année, il preste sur la scène du Festival Nationale des Arts et de la Culture (FENAC). Véritablement lancé dans le slam il y a cinq ans, il se distingue par sa présence et son charisme sur scène, où il est un vecteur d’émotions en tout genre. Adepte d’un slam poétique qui selon lui tire sa source dans toutes les bonnes et les mauvaises choses créées par Dieu, il souhaite voir plus de jeunes utiliser les mots comme armes pour construire une société meilleure. C’est sans complexe qu’il se permet de rêver à un succès planétaire couronné par de distinctions prestigieuses, Grammy award en tête. Mais par-dessus tout, il souhaite simplement profiter de la vie et de ce que l’avenir lui réserve. Et c’est avec énormément de fierté qu’il voit le slam camerounais évoluer tant au niveau national qu’international, à travers des participations aux compétitions internationales et l’attrait croissant des médias. Ce qu’il désire pour l’avenir est donc de voir plus de jeunes se consacrer à l’art du slam et de la poésie, afin que jamais ne manquent des voix pour transmettre les messages essentiels.

Partagez

Commentaires

Mandou
Répondre

Merçi bcp pour ce brillant travail.
T'es une pépite des mots.