27 juillet 2023

Le sens littéraire selon Calixthe Beyala

Tout au long de sa carrière, Calixthe Beyala a incontestablement suscité le débat. Entre scandales retentissants et coups d’éclat, il peut être difficile de cerner la véritable valeur de son œuvre. Malgré cela, nous nous sommes aventurés au cœur de ses romans pour tenter de découvrir le sens littéraire selon elle.

Depuis des décennies, la littérature africaine a été enrichie par de nombreux auteurs talentueux qui ont su captiver les lecteurs du monde entier en dépeignant avec finesse et justesse la diversité et la complexité du continent. Parmi ces voix éminentes, celle de Calixthe Beyala se distingue comme une figure marquante et incontournable. Écrivaine, essayiste, et militante, son œuvre puissante et engagée a su ouvrir de nouvelles perspectives dans le paysage littéraire africain et éveiller les consciences sur des questions sociales cruciales.

Dans cet article, nous nous pencherons sur la vie et l’œuvre de Calixthe Beyala, son impact sur la littérature africaine, ainsi que les thèmes et les préoccupations qui ont marqué sa plume distinctive.

© BALTEL / SIPA

Le parcours de Calixthe Beyala

Le parcours de Calixthe Beyala est une toile complexe, tissée de l’indifférence et de l’unanimité, deux éléments caractéristiques des grands artistes de légende qui osent bousculer les esprits, interpeller les consciences et susciter la réflexion. Cette dualité a forgé sa notoriété, suscitant tantôt admiration, tantôt interrogations sur les raisons qui divisent autour de sa personne, qu’elles soient justifiées ou non. Quoi qu’il en soit, sa carrière artistique est incontestablement digne d’intérêt.

Née au Cameroun en 1961, Calixthe Beyala a conquis un nouveau territoire en s’installant en France à l’âge de 17 ans, où elle a cultivé l’essence même de sa littérature : la richesse de la double culture et l’engagement social. Au fil des années, elle a puisé dans son vécu, qui a oscillé entre le meilleur et le pire des continents africain et européen, pour nourrir sa plume de convictions profondes.

Ces convictions se reflètent tout au long de sa carrière littéraire, insufflant à ses livres une puissance et une authenticité saisissantes. Témoin engagée de son temps, elle explore avec une audace sans pareille des thématiques cruciales telles que l’identité, l’exil, le colonialisme, le féminisme et l’injustice sociale.

Elle explore avec une audace les thématiques cruciales de l’identité, l’exil, le colonialisme, le féminisme et l’injustice sociale.

Au-delà des controverses, l’œuvre de Calixthe Beyala continue de briller par sa singularité et son impact indéniable dans la littérature africaine et francophone. Elle incarne l’esprit d’une artiste hors norme, dont la plume émancipée transcende les frontières et résonne avec force dans le cœur de ses lecteurs.

Son premier roman, « C’est le soleil qui m’a brûlée, » paraît en 1987. Par la suite, elle connaît de nombreux autres succès littéraires, dont certains ont été couronnés de prestigieuses récompenses, marquant ainsi une plongée dans les abîmes suivis d’une remarquable renaissance.

Parmi ses succès notables, « Maman a un amant, » publié en 1994 chez Albin Michel, lui vaut le Grand prix littéraire d’Afrique Noire. En 1996, pour « Les honneurs perdus » (toujours chez Albin Michel), elle reçoit le Grand prix du roman de l’Académie française. Cependant, elle subit également une condamnation par la justice en mai 1996 pour avoir trop emprunté certains éléments du roman « Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué » d’Howard Butten pour la rédaction de « Le petit prince de Belle Ville. » Cette affaire entraîne un lynchage médiatique retentissant. Malgré ces controverses, Calixthe Beyala reste l’une des auteures les plus prolifiques et les plus vendues de son temps, démontrant ainsi que ses romans suscitent un intérêt dépassant les critiques négatives.

Toutefois, pour mieux comprendre l’auteure, il est essentiel de dépasser l’image médiatique de la scandaleuse diva de la littérature ou de la femme à la parole acerbe. Il faut également faire abstraction des accusations de plagiat et des premières impressions après la lecture de ses romans. Il est nécessaire de chercher à comprendre la femme derrière les livres, ses combats, sa vision du monde et le sens de sa littérature.

Au cœur de l’œuvre, les femmes

© Angela Roma

Calixthe Beyala aborde principalement, voire exclusivement, des histoires centrées sur des femmes dans ses romans, ce qui pourrait la faire qualifier aisément d’écrivaine féministe. Cependant, il serait réducteur de simplement assimiler sa vision du féminisme à la lutte classique pour l’égalité politique, économique et sociale entre les genres masculin et féminin. En réalité, son œuvre regorge de nuances.

Nombre de ses romans mettent en scène des femmes aux destins jonchés d’embûches, souvent victimes des hommes de leur entourage, qu’il s’agisse de pères, maris ou compagnons opportuns. Ces femmes se retrouvent fréquemment prises dans l’étau du patriarcat et d’une masculinité triomphante, leur bonheur étant largement dépendant de ces hommes.

Cette femme est prise au piège de sa propre existence, incapable de faire un choix ferme entre son bonheur et les attentes d’une société qui la marginalise.

Un exemple poignant se trouve dans « Les honneurs perdus, » où l’on découvre l’histoire tragique d’une femme partiellement indépendante et hautement intelligente, qui passe une grande partie de sa vie à attendre désespérément l’homme qui fera d’elle une femme honorable en l’épousant. Cette femme est prise au piège de sa propre existence, incapable de faire un choix ferme entre son bonheur et les attentes d’une société qui la marginalise.

Dans un autre de ses romans, « Femme nue femme noir » paru en 2003, Calixthe Beyala nous plonge dans un univers sombre, décadent et perturbant, où une jeune femme se perd corps et âme dans un désir naïf d’émancipation et de liberté qui la conduit à sa perte. Cette histoire semble être une mise en garde, une interpellation et un questionnement sur le féminisme et son interprétation dans le monde contemporain.

Le féminisme selon Calixthe Beyala ne se limite pas à la simple recherche d’une égalité formelle entre les sexes. Il s’agit plutôt d’une prise de conscience pour les femmes de leur valeur intrinsèque et de leur capacité à prendre en main leur propre destinée, tel un gouvernail.

Cameroun : la nouvelle terre du slam

Sa double culture

© Julien Vera Film

Sa double culture joue un rôle central dans ses écrits, reflétant son enfance au Cameroun et sa vie en Europe, en particulier en France. L’Afrique est présentée dans certains de ses romans comme un endroit marqué par la misère sociale et intellectuelle, mais aimé pour sa culture et sa résilience. En revanche, l’Europe est souvent dépeinte comme une fausse terre promise, minée par le racisme, les faux-semblants, l’acculturation et l’hypocrisie. Cette perspective révèle la complexité des sociétés dans lesquelles Calixthe Beyala évolue et souligne l’importance de faire transparaître la réalité sans édulcoration dans ses romans.

Une Afrique aimée par dessus tout

L’écrivain ne peut écrire que sur ce qu’il sait. Calixthe Beyala, ayant passée une partie de son enfance au Cameroun et une grande partie de sa vie en Europe, notamment en France, a toujours usée dans ses écrits de sa double culture. Au fil des ouvrages, on parvient à identifier la lecture qu’elle fait de chacune de ces terres.

L’Afrique, on le constate dans certains de ses romans, n’est pratiquement décrite qu’en termes de bidonville, de misère sociale et ou intellectuelle. Mais, malgré la misère décrite, cette Afrique est aimée. Tout en dénonçant les ravages de la colonisation ainsi que l’inaction d’une certaine classe dirigeante, elle met en valeur ce que l’Afrique a de plus beau à savoir sa culture et sa résilience. Le roman « La petite fille du réverbère » en est la parfaite illustration.

Nous faisant voyager au fil de l’enfance de la petite Beyala, quand l’amour remplace l’argent, quand la religion occidentale s’associe aux traditions mystiques africaines, quand l’éducation devient le plus beau et le plus grand des cadeaux.

Son regard sur l’Europe

En ce qui concerne l’Europe et particulièrement la France, elle est très souvent dépeinte comme une sorte de fausse terre promise, minée par le racisme, les faux semblant, l’acculturation et l’hypocrisie. Mais, à y regarder de plus prêt, on comprend que ce n’est là que la description des conséquences d’une politique d’intégration des immigrés pas encore suffisamment aboutie. De plus, l’européanisation des africains entraîne inexorablement une perte des valeurs fondamentales propres à l’Afrique. Partant de là, la perceptibilité se fait plus claire sur des thématiques telles que l’individualisme et le déchirement de la cellule familiale.

Dans « Le roman de Pauline » notamment, on a un aperçu des frustrations subis du fait de la double culture, des effets de l’auto-intégration à marche forcée et du regard social accusateur des autochtones. Par les thématiques et les angles de perception de ses différents romans, Calixthe Beyala nous montre la complexité des sociétés dans lesquelles elle évolue. Complexe, passionnelle et peut-être un peu ambiguë, le rapport entretenu avec l’Afrique et l’Europe à travers ses romans nous laisse croire à une volonté de faire transparaître la réalité sans édulcoration.

De plus, cette posture serait sans doute également un message à l’endroit de tous ses lecteurs, disant que dans cette réalité si crûment racontée, il peut arriver soit le meilleur, soit le pire. Il peut arriver la vie.

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